Le Centre de détention d'Eysses est installé dans un des plus vieux quartiers de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) : l'ancienne abbaye bénédictine, qu'il occupe en partie est en effet elle-même construite sur les ruines d'une ville gallo-romaine : EXCISUM (érigée probablement en 58 avant JC). Cette abbaye vendue comme bien national à la Révolution, devint en 1803 l'une des premières maisons de réclusion ouverte en France. Elle accueille les condamnés à de longues peines jusqu'en 1895. Le 2 juin 1895, elle est transformée en colonie correctionnelle destinée aux mineurs délinquants. Le décret du 31 décembre 1927, par volonté de gommer le plus possible le caractère pénal de cet établissement, transforme le nom en celui de maison d'éducation surveillée. Eysses continue d'accueillir des pupilles jusqu'en septembre 1940, date à laquelle l'établissement reçoit des détenus politiques, avant de devenir en 1943 un lieu de répression stratégique : la plus vaste concentration de prisonniers politiques (résistants) de toute la France.
Une circulaire du 26 octobre 1943 signée René Bousquet, secrétaire général de la police, décide le transfert à la maison centrale d'Eysses (réputée bien gardée dans un environnement rural tranquille), de tous les résistants condamnés par les tribunaux d'exception de zone Sud, pour menées « communistes, terroristes, anarchistes ou subversives ». Plusieurs convois arrivent également de zone Nord, dont cent prisonniers transférés de la Santé le 12 février 1944.
En décidant de regrouper à Eysses 1400 résistants, les autorités de Vichy, soucieuses de sécurité, ont favorisé, bien malgré elles, un foisonnement exceptionnel. La prison concentre alors un échantillon très représentatif des détenus politiques emprisonnés sous le régime de Vichy : des hommes de toutes origines sociales ou géographiques appartenant à la Résistance dans toute sa diversité (communistes, gaullistes, socialistes, chrétiens, juifs ou athées, syndicalistes, Républicains espagnols…). C’est la conjugaison de leurs expériences, des luttes collectives acquises dans les différentes prisons qui, une fois concentrées à Eysses, explique le perfectionnement de l’organisation qui y voit le jour à la fin de l’année 1943. Ils ont la volonté d’être traités dignement, instaurent entre eux des relations d’unité et d’entraide et réaffirment leur engagement pour la libération de la France. La grande majorité des résistants incarcérés à Eysses appartiennent aux grands mouvements de la Résistance gaulliste (Combat, Franc-Tireur), socialiste (Libération) ou communiste (FTP, Front national). La plupart des organisations de résistance représentées, malgré des divergences idéologiques exprimées, acceptent le principe de l’adhésion au « Front National des détenus » proposé par les communistes, qui sont majoritaires.
Contre toute attente, les détenus réorganisent à l'intérieur de la prison une société vivant normalement malgré la contrainte. Pour les représenter auprès de la direction, ils élisent deux délégués, un communiste et un gaulliste : Henri Auzias et Stéphane Fuchs. Ils obtiennent une relative liberté de mouvement ainsi que le droit d'enseigner et de se distraire. Fin 1943, des journaux clandestins font leur apparition dans la prison. Les détenus parviennent aussi à communiquer avec l'extérieur et à tisser des liens avec des résistants locaux, par le biais notamment d'un certain nombre de gardiens. Cette organisation, connue des autorités, permet aussi de camoufler une organisation clandestine, également pluraliste, préparant politiquement et militairement la tentative d’évasion collective afin de rejoindre le combat extérieur.
Une organisation de type militaire est mise en place clandestinement au sein de la prison, qui deviendra le « Bataillon d’Eysses », dont le seul but est la préparation d’une évasion collective pour rejoindre la Résistance et participer aux combats de la Libération. Les hommes sont structurés en groupes de dix (gaullistes et communistes mélangés), sections et compagnies, le tout formant un bataillon coiffé d’un état-major sous la direction du commandant Bernard et de la commission militaire du Front national. Les Espagnols restent groupés même s’ils s’intègrent à l’organisation générale en y apportant leur précieuse expérience des combats armés. Une instruction militaire et des cours de maniement d’armes sont donnés, sous couvert des cours autorisés, l’éducation physique régulière devient obligatoire en janvier, dans la perspective de l’évasion. Elle est confiée à des moniteurs sportifs diplômés, comme le lyonnais Jean Chardonnet, cycliste de haut niveau dans le civil ou le professeur de sport Marcel Cochet du mouvement Libération qui exerçait au lycée Lalande de Bourg-en-Bresse. Placées dans le double fond de boites de biscuits, une quarantaine de grenades et quinze mitraillettes Sten en pièces détachées ont pu être introduits dans la Centrale, via les ateliers. Ces armes vont être cachées en différents endroits de la prison, notamment sous les lattes de parquet d’un des dortoirs, sous la paillasse de Jean Chauvet, mais aussi dans une petite salle située face au chauffoir du préau 2.
Lors d’un soulèvement les 9, 10 et 11 décembre 1943, les détenus politiques (plus d’un millier) arrivent à empêcher le transfert en zone nord (et leur « livraison » probable aux Allemands) des 150 internés administratifs. Ces trois journées appelées « Les Trois Glorieuses » par les détenus, font figure d’événement fondateur du « Bataillon d’Eysses » : première victoire remportée sur les autorités répressives. Elles marquent aussi la découverte par la hiérarchie pénitentiaire de l’organisation clandestine des détenus.
Le 19 février 1944, le directeur de la prison ainsi qu'un inspecteur de l'administration pénitentiaire sont pris en otage par les détenus. L'alerte est donnée. S'ensuit alors une fusillade puis le siège de la prison, toute la nuit, par les gardes mobiles de réserve. Après plusieurs heures de combat et face aux menaces des autorités allemandes de bombarder la centrale, l'état-major du bataillon d'Eysses décide d’entamer des négociations. Le directeur Schivo donne sa « parole d’officier » qu’il n’y aura pas de représailles et confirme aux autorités le traitement correct dont il a été l’objet. Pour éviter le bombardement de la Centrale et épargner un maximum de vies, les détenus libèrent alors les otages encore ligotés dans les dortoirs, rendent les armes (onze mitraillettes et huit grenades) et regagnent leurs dortoirs, il est environ 4 heures du matin.
Le 20 février, Joseph Darnand, secrétaire général au maintien de l'ordre, se rend à Eysses. Les interrogatoires commencent dans la matinée du 20 dans les préaux, de même qu’une fouille générale de la prison est organisée. Les armes cachées dans la cour de l’infirmerie sont découvertes. Les détenus sont fouillés et tout ce qui leur appartient est détruit. Les brigades mobiles de Limoges et Toulouse sont appelées en renfort pour l’interrogatoire des 1200 détenus. Parmi eux, un seul parlera. Suite à aux interrogatoires des détenus, cinquante otages, considérés comme les meneurs, sont conduits au quartier cellulaire.
Seize personnes sont immédiatement mises en cause - « comme meneurs actifs et armés de la mutinerie ». Parmi celles-ci figurent notamment :
Le conseil des ministres nomme une cour martiale qui arrive à Eysses dans la soirée du 22 février. Le 23 à 4 heures du matin, elle examine à huis clos 14 procès-verbaux parmi les seize initialement choisis. A dix heures, le président de la cour martiale, assisté de deux juges, a déjà lu la sentence aux condamnés, qui sont passés par les armes à onze heures. Six heures au plus se sont donc écoulées entre la remise des procès-verbaux à la cour martiale et l'exécution de la sentence, sans aucune défense ni plaidoirie. Le 13 mai 1944, les 36 otages incarcérés le temps de l’enquête au quartier cellulaire sont transférés à la prison de Blois. Ils seront déportés à Dachau dans le convoi du 2 juillet 1944 portant le nom de « Train de la mort » (du fait du nombre élevé de morts pendant le transport).
Le 30 mai 1944, plus de 1200 résistants quittent la prison sous les coups de la division SS Das Reich (qui s’illustrera quelques jours plus tard à Oradour-sur-Glane) pour la gare de Penne-d’Agenais, en direction de Compiègne, antichambre de la déportation. Quatre cents d’entre eux laisseront leur vie dans les camps de concentration nazis.
Le 24 novembre 1947, la qualité d’unité FFI est reconnue sous la dénomination de « Bataillon FFI de la centrale d’Eysses », à la formation combattante constituée par les membres de la Résistance incarcérés à la centrale d’Eysses. Une seconde bataille commence alors, afin de faire reconnaître le « Bataillon » d’Eysses comme Unité combattante ; des demandes sont déposées à cette fin en 1957, 1970, 1985. La demande aboutit enfin le 20 avril 1990 ; le Bataillon FFI de la centrale d’Eysses est alors reconnu Unité combattante pour « les actions des Trois Glorieuses, débutant le 9 décembre 1943, empêchant la livraison en zone nord des internés administratifs et du 19 février ayant pour but de rejoindre la résistance extérieure ».